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lundi 13 juillet 2009

Crise ou coup d’Etat au Honduras ?

Il était une fois un président populaire et antilibéral, hostile aux institutions républicaines qui lui interdisaient de briguer un second mandat de quatre ans dont il chérissait l'idée. L'emploi de la force mit fin au blocage et, vous avez bien compris, Louis-Napoléon Bonaparte conservait ainsi le pouvoir qu'il aurait du rendre, et le convertissait un an après en titre impérial.

Ce 28 juin 2009, le président du Honduras eu nettement moins de chance. Il a été arrêté puis expulsé par l’armée, soutenue par la Cour suprême et le Parlement. Très vite, le président a acquis le soutien de la communauté internationale, sans que cela le remette en place.

On a très vite qualifié les évènements de coup d'Etat, une qualification que je rejoins in fine quoique je pense qu'elle mérite d'être disputée, ce qui est d'ailleurs le cas sur les wikipédias. Cette qualification mérite d'être disputée parce qu'elle attribue un peu vite les rôles. Pour la communauté internationale, il semble cependant que le procès soit déjà terminé.

I ) Un unanimisme international


Unanimisme, c'est bien le mot pour décrire la réaction de la communauté internationale. Certes il y a des nuances mais de façon générale on critique fiévreusement ou alors on critique, ou on dénonce. Les positions des pays s’étalent de la qualification de coup d’Etat assortie d’une condamnation et d’un appel à remettre en place le président, jusqu’à la dénonciation de la suite de l’emploi de la force et des appels à respecter la démocratie et l’état de droit (en réalité des formules génériques que chacun peut prendre pour soi).

Il faut cependant comprendre que cet unanimisme ne nous apprend pas grand chose sur les événements au Honduras, mais bien davantage sur la façon dont on doit gérer l’opinion publique dans ce type de crise.

Aucun Etat ne veut en effet être attrapé en flagrant crime de lèse-opinion publique. D’une certaine façon le rêve des doctrines idéalistes en matière de relations internationales s’est réalisé : l’opinion publique compte. Mais pas comme prévu. Pas comme une force populaire au soutien d’une démocratie libérale fin de l’histoire, plutôt comme une passion qu'on ne veux pas avoir contre soi.

Cet unanimisme à critiquer le changement brutal de pouvoir, qu'il soit ou non qualifié de coup d'Etat, a ainsi le mérite de couper l’herbe sous le pied des démagogues américains, toujours prêts à stigmatiser les États-Unis. Chavez et ses amis, après avoir commencé leur réquisitoire contre les États-Unis, ont du faire machine arrière et se contenter de prêter aux riches.

Les événements se glissent facilement dans la matrice de l’éternel coup d’Etat subi par une république bananière. La facilité devrait générer un peu de doute malheureusement pour beaucoup de monde, c’était un slam dunk et on s’est précipité à interpréter en noir et blanc ce qui était complexe.

II ) Une qualification disputable

La réalité est toujours complexe. La définition d’un coup d’Etat elle-même n’a rien d’évidente. J’ai d’ailleurs du la revoir lors de la crise, aidé par quelques manuels (l’article de wp:fr reste à revoir si ce n’est à recycler).

Observons notre définition. Un coup d’Etat est un renversement du pouvoir qui se caractérise plus par son illégalité que par sa brutalité : l’illégalité est nécessaire, la violence n’est que contingente. De surcroit le renversement émane d’une autorité constituée c.-à-d. qu’une section de l’Etat s’empare du tout.

Incidemment ces deux caractéristiques permettent àmha de distinguer le coup d’Etat du putsch - plus violent, plus extérieur à l'Etat - encore que généralement on les traite comme synonyme.

Le coup d’Etat se distingue de la révolution, pour laquelle on prête une part plus active à la population. Pour cela, nombre de coups tentent de se faire passer pour des révolutions.

En l’espèce la qualification du renversement du président Zélaya en coup rencontre des difficultés : celui-ci voulait effectuer une consultation populaire dans des formes que la Constitution ne prévoyait pas (cette consultation était donc interdite) pour le motif transparent de permettre la réélection du président, ce que la Constitution non seulement interdit mais prescrit en plus le prononcé de la haute trahison…

La Cour suprême avait logiquement jugé un tel scrutin illégal et c’est donc avec l’aide de Chavez, qui lui fournissait les bulletins, qu’il intimait à l’armée de procéder à la mise en place du scrutin. Celle-ci avait refusé.

Les partis politiques, qui avaient décidé de s’abstenir de ce scrutin, s’opposaient à Zelaya, y compris son propre parti - on notera que le président par intérim est issu du même Parti Libéral que Zelaya. Le Parlement était à quelques voix près entièrement tourné contre le président.

Ainsi, vu de prêt, le président de Honduras n’est pas le grand démocrate empêché par les forces réactionnaires que le public espérait. Mais peu importe, on tenait enfin une bonne cause, on n’allait pas la lâcher.

III ) Les conséquences en fonction des wikipédias

Comment nommer l’article traitant de la crise ?

L’alternative se résume généralement à des titres comme Coup d’Etat au Honduras de 2009 et Crise constitutionnelle au Honduras de 2009.

Et la guerre fait rage. Du moins cela dépend des wikipédias. Par curiosité je suis allé comparer les wikipédias les plus importantes.

Ainsi sur l’anglaise, ça révoque :

Trois fois le 28 juin
Une fois le 30 juin
Quatre fois le 02 juillet
Deux fois le 05 juillet
Et depuis le 11 juillet nous avons : 2009 Honduran constitutional crisis, article semi-protégé, et à l’enjeu si important qu’on vient me demander mon avis sur ma pdd pour le débat (oui le débat anglais).

Chez les Teutons, Militärputsch in Honduras 2009 n’a jamais été retouché.

Chez les Espagnols, on note une guerre d’édition les 29 et 30 juin.

En France, rien. Mais on peut voir en pdd qu'il y a eu des tentations.


IV ) Un coup d’Etat quand même ?

J’entends bien la préoccupation de ceux qui veulent titrer la crise en évitant de la qualifier de coup d’Etat, ce qui leur apparaît comme une violation de pov.

Les arguments sont intéressants mais quand on a montré que le comportement de Zelaya était autocratique et violait les institutions démocratiques, on n’a pas montré que ce n’est pas un coup qui l’a renversé.

Or quelques soient les violations de la Constitution de la Constitution que Zelaya avait commises, et surtout celles qu’il s’apprêtait à commettre, et quand bien même c’est lui qui aurait franchi le Rubicon en ordonnant un referendum illégal, c’est bien l’armée qui l’a déposé hors formes légales. Certes ces formes légales n’existaient pas : les institutions ne pouvaient destituer le président dans les temps en respectant le cadre constitutionnel. On était donc dans une situation de verrouillage, et c’est l’armée qui a liquidé le jeu. Se pose aussi le problème de savoir qui a eu l’initiative du renversement. Si on accepte l’idée que la constitution inflige automatiquement la peine de trahison de la patrie et donc la déchéance du président qui viole l’interdiction de se représenter, il n’en reste pas moins le problème de savoir qui a le droit de faire de telles qualifications. Blocage.

Quoi qu’il en soit, il y a bien violation de la légalité. Les objections à ce fait ne peuvent porter que sur la légitimité de cette violation.

Outre la violation de la légalité, notons l’emploi de la force contre Zelaya. Le coup n’est pas sanglant, l’emploi de la force semble s’être cantonné essentiellement à arrêter et expulser Zelaya au petit matin. Néanmoins c’est l’emploi de la force qui a déterminé l’issue du verrouillage constitutionnel.

Enfin les bénéficiaires et instigateurs sont des autorités constituées. Certes normalement c'est le titulaire du pouvoir exécutif qui renverse le reste de l'Etat. Ici c'est l'inverse mais le critère est bien rempli.

Pour toutes ces raisons, il n’est pas déraisonnable de croire que le coup d’Etat est constitué. Il ne faut cependant pas découler immédiatement de cette qualification qu’il faille le condamner. Certains medias ont parlé d’un coup d’Etat d’un genre nouveau voire d’un coup d’Etat étrangement démocratique, comme c'est le cas du Wall Street Journal.

Le traitement de la crise par les partisans d'appeler le schmilblick un coup d'Etat montre une fois de plus qu'il ne faut jamais réduire la réalité à une opposition manichéenne. Le traitement par l'autre camp nous rappelle qu'on ne se trompe jamais autant qu'à travers les erreurs de ses contradicteurs.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Intéressant ton billet, tu progresses en analyse.
Il serait intéressant de savoir si c'est vraiment l'opinion publique qui commande le jeu des indignations de la supposée communautée internationale, ou si ce sont les mythes "antifascistes" et l'humanitarisme qui donnent le ton au troupeau via l'influence des démagogues faiseurs d'opinion.

Julien

Apollon a dit…

L'opinion publique ne commande pas le concert d'indignations mais elle les détermine en ce que les réactions internationales se fixent sur un équilibre de Nash par lequel tout le monde dit n'importe quoi mais personne ne peut plus accuser un autre d'une action occulte et d'intentions démoniaques.

L'antifascisme est hs ici, contrairement au tiermondisme.